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Eloge de la lecture

Le lecteur est un chat. Il aime se pelotonner dans un canapé confortable, si possible entouré de coussins et de plaids, devant un feu de cheminée, bien au chaud. Il attend avec une certaine délectation le moment où le sommeil va le prendre. Luttera-t'il contre l'assoupissement ? Non, il fait partie du plaisir de la lecture.

Le lecteur est un courageux. Il choisit parfois un gros roman de 800 pages. Il sait qu'il va vivre des aventures exténuantes, violentes, terriblement tristes, au risque de pleurer avec les personnages. Il va souffrir, espérer, courir, avoir peur, être excité, impatient, pressé, irascible, heureux, euphorique, nostalgique, conforté, réconforté. Il va connaitre la douche froide d'une palette variée de sentiments, peut-être plus que dans la vraie vie, au fond. Il sait pertinemment qu'il ne sortira pas indemne du livre, que sa vision de la vie sera changée à jamais. Comme une morsure qui laissera une cicatrice s'estompant avec le temps.

Le lecteur est un curieux. Un sujet d'actualité l'intéresse ? Au lieu d'absorber bêtement une pensée prête à l'emploi, il va se renseigner par lui-même, en prenant un essai de spécialiste ou de journaliste d'investigation. Et puis si le sujet le passionne, il va lire un autre essai sur le même thème, pour confronter les avis et se faire le sien propre, avis qui pourra changer au fil du temps, au fil de ses lectures.

Le lecteur est un enthousiaste. Quand un livre l'a touché, il va en parler autour de lui, qu'on lui demande son avis ou non. Il va tenter de convaincre, ou même de persuader s'il le faut. Parce qu'il faut que tout le monde le lise, parce qu'il ne faut pas passer à côté, parce qu'il veut votre bien, parce qu'il veut vous éclairer. Il va vous prêter ce livre, vous l'offrir lors d'un dîner, d'un anniversaire, ou bien vous le donner, comme ça, gratuitement, sans aucun autre prétexte que son militantisme. Ou par pure amitié, parce que vous comptez à ses yeux. La lecture est une amitié et le lecteur un ami, soyez-en sûr.

Le lecteur est un semeur. Il fera tout pour que ses propres enfants lisent. Pour cela il donnera l'exemple, en éteignant la télé, en prenant un livre, en invitant les autres à faire de même, en encaissant les sarcasmes de ses ados qui lui expliquent que tout ça, c'est dépassé, que maintenant, tout se passe sur le net, sur les réseaux sociaux. Le lecteur rira sous cape quand il verra sont ado en train de lire, précisément, sur ces mêmes réseaux sociaux. 144 caractères n'ont pas fait une oeuvre, mais elle entraînera d'autres lectures, peut-être sur un livre électronique ou un bon vieux livre papier, sait-on jamais.

Le lecteur est un philosophe. Il est en quête de la vie bonne. Il tentera de trouver sa juste place dans un monde mutatis mutandis. Ainsi, il apprivoisera ses peurs, mais aussi le temps qui passe avec sa propre mort au bout. Il n'a pas peur du silence, du temps long, de l'ennui, de la solitude, de l'ascèse, de la réflexion, de la contemplation. C'est un sage au corps statique et au cerveau en ébullition.

Le lecteur est un sensible, qui vit, souffre, pleure, rit et devient avec eux. Il se fond dans les vies des héros avec une certaines délectation. Mais attention, avec discrétion : il ne faudrait pas qu'une tierce personne rentre par effraction dans son jardin secret. Il vit mille vies avec une vraie jubilation d'autant plus grande que personne ne s'en douterait. Il n'a plus honte de ses affinités qu'il partage avec l'auteur, probablement. Personne n'a à lui dire ce qu'il doit aimer ou pas. 

Le lecteur est un esprit libre. Il cherche à mettre des mots (ceux d'un autre) sur ses envies ou ses intuitions. Il refuse qu'on lui dicte sa pensée, il préfère l'élaborer peu à peu au gré des lectures, et se sentir riche de tout ce que les autres ont écrit. Un empilement intelligent de savoirs pour une culture solide, vaste, arborescente, volontaire, acquise avec effort. Un enrichissement de vocabulaire pour formuler le plus précisément possible sa pensée. 

Il faut lire parce qu'il faut tenter de vivre.

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